Avant propos : Cet article est inspiré des travaux de Pascal Picq, Collège de France.

 

La théorie de la sélection naturelle formulée par Charles Darwin au milieu du XIXème siècle est aujourd’hui considérée comme l’hypothèse la plus vraisemblable permettant d’expliquer l’évolution des espèces et leur adaptation à leur environnement. Mais on oublie un peu trop vite que cette théorie n’était pas la seule en lice, et que d’autres approches, comme celle de Jean-Baptiste de Lamarck, célèbre naturaliste français de la fin du XVIIIème et de la première moitié du XIXème siècle, représentaient la pensée dominante à l’aube des années 1800.

Quelle est la différence entre les deux approches, et surtout comment cette analyse nous permet-elle de comprendre la résistance au changement que nous observons dans beaucoup d’entreprises occidentales de nos jours ?

La différence entre les théories de Lamarck et Darwin peut être résumée ainsi :

  • Lamarck a été le premier à penser que les espèces évoluaient sous l’effet du changement de leur environnement, de manière à s’adapter en permanence à celui-ci. Mais la vision de Lamarck était une évolution « homogène » de l’espèce dans sa globalité. C’est le fameux « La fonction créé l’organe ». L’ensemble de l’espèce évoluant pour s’adapter aux changements de l’environnement, et ces derniers n’étant pas si fréquents que cela (du moins au XIXème siècle !), il en résulte qu’une fois que l’espèce s’est adaptée, elle fait tout pour ne pas changer à nouveau, sauf contrainte majeure, de manière à « rentabiliser » cette évolution coûteuse.
  • Darwin, à l’inverse, pensait que les espèces n’étaient pas homogènes, car toutes constituées d’une multitude d’individus aux caractéristiques légèrement différentes. Dans cette vision, les changements de l’environnement favorisent ou défavorisent les individus dont les caractéristiques sont les plus adaptées aux nouvelles conditions extérieures. Les premiers vont proliférer et transmettre leurs gènes à leur descendance, alors que les seconds vont péricliter, voire disparaître, et ne transmettront pas leurs gènes à leur descendance. Ainsi, par le phénomène de la « sélection naturelle », certains sous-types d’une population vont se développer au détriment des autres moins adaptés, donnant la fausse impression que l’espèce dans son ensemble évolue. En fait, toutes les évolutions potentielles sont déjà contenues dans la diversité des individus, et les changements de l’environnement sélectionnent les uns au détriment des autres.

Tout cela est très passionnant mais quel rapport avec la gestion des ressources humaines aujourd’hui, et l’accompagnement du changement ?

Un rapport très direct.

Les deux principales théories de l’évolution ont été énoncées à une époque contemporaine de la révolution industrielle. Elles ont fortement influencé les modes de pensée des grands entrepreneurs industrielsdu XIXème siècle, et abouti à des constructions d’entreprises très différentes. En Europe et à l’est des USA, et en France en particulier, la pensée Lamarckienne a été fortement dominante, et a forgé des organisations d’entreprises adaptées à l’environnement de l’époque, mais potentiellement très résistantes au changement : puisque nous sommes adaptés, pourquoi changer ? C’est le fameux « on a toujours fait comme ça… ». Cette mentalité lamarckienne est le fondement, encore aujourd’hui, de beaucoup d’organisations d’entreprises françaises et européennes, même si très peu de gens en ont encore conscience.

La pensée Darwinienne a eu beaucoup plus de mal à s’imposer face à la théorie lamarckienne dominante, et ce n’est qu’au milieu du XXème siècle qu’elle est devenue la théorie de référence. La vision darwinienne a influencé les organisations des entreprises de l’Ouest des USA, et représente le modèle dominant des entreprises de la nouvelle économie numérique (GAFA), dont l’histoire très récente démontre la montée en puissance et la suprématie absolue. Cette pensée est dominée par l’agilité et le pragmatisme. Le changement est considéré comme une donnée quasiment permanente, qui ne pose aucun problème à l’organisation qui valorise la capacité d’adaptation permanente des membres qui la composent, et qui entraînent l’ensemble de l’organisation.

L’adaptation au changement n’est pas quelque chose que l’on impose de l’extérieur, mais elle est déjà contenue à l’intérieur.

darwin-lab

On peut dire que nous sommes réellement entrés au XXIème siècle dans l’ère darwinienne en termes de modèle dominant d’organisation des entreprises.

 

L’influence des théories de l’évolution sur l’organisation des entreprises nous éclaire aujourd’hui sur l’agilité ou au contraire la résistance au changement que nous observons quotidiennement : quand on vit dans un environnement lamarckien, sans forcément en avoir conscience, nous avons beaucoup de mal à devenir darwinien du jour au lendemain. Et surtout du mal à entraîner l’ensemble de l’entreprise avec nous.

C’est pourquoi nous avons mis au point le concept DARWIN LAB : le laboratoire de l’évolution des entreprises.

 

Qu’est-ce qu’un DARWIN LAB ?

C’est un groupe de travail créé au sein d’une entreprise qui a pour vocation :

1) de faire l’état des lieux sur la situation actuelle de l’entreprise, et d’identifier ses besoins d’évolution pour mieux s’adapter à son environnementactuel et surtout futur

2) Fixer un cap avec des objectifsprécis et des Milestones déterminés

3) Définir un plan d’action permettant d’atteindre ces objectifs

4) Identifier les Kpi’s qui permettront de mesurer le succès des actions entreprises et de corriger le tir si nécessaire.

5) Interagir avec d’autres entreprises, du même domaine ou non, engagées dans la même démarche de transformation darwinienne, afin de s’inscrire dans un écosystème évolutif plus global, et ne pas rester enfermé dans un domaine limité.

 

Quelle différence avec un groupe de travail classique ? Principalement la vision qui sert de fil conducteur à l’ensemble de la démarche et la composition de ses membres.

Il est banal de constituer des groupes de travail pour « accompagner le changement ». Trop souvent, l’efficacité réelle de ces groupes sur l’évolution concrète de l’entreprise est très limitée, et se limite au domaine des bonnes intentions pour faire plaisir et en rassurer quelques-uns. Par ailleurs, les membres de ces groupes sont souvent choisis en fonction de leur poste ou de leur statut dans l’entreprise : une démarche qui reste très lamarckienne !

darwin-lab-organisation

 

Le fil conducteur est marqué par la pensée darwinienne : notre capacité d’adaptation est déjà contenue en nous-mêmes. Le changement ne peut pas être imposé de l’extérieur, mais doit émerger de l’intérieur, si on veut qu’il soit réel, efficace et pérenne. La vision même du changement est différente dans la pensée darwinienne : ce n’est pas un phénomène ponctuel et passager, un « mauvais moment à passer », mais une dynamique de fond, permanente et normale, qu’il faut intégrer comme une donnée structurelle et non contextuelle.

Les membres d’un Darwin Lab sont choisis par rapport à leur capacité à développer une vraie vision du changement et à entraîner les autres dans leur sillage. Peu importe leur poste ou leur situation hiérarchique, seul compte leur potentiel d’agilité et d’influence positive.

Ensuite, en bons penseurs darwiniens, notre modèle théorique s’arrête là : pas question d’imposer un process de travail identique pour tous. Au contraire, la spécificité de chaque Darwin Lab est un élément fondamental du modèle. Les solutions les mieux adaptées à votre entreprise ne sont pas forcément adaptées à d’autres, même s’il y a certainement des lignes dynamiques communes.

En ce sens, on peut considérer que chaque Darwin Lab est une entité vivante et unique, qui répond de manière spécifique aux besoins d’évolution de votre entreprise.